On ne cesse d’entendre qu’internet nuit gravement aux
librairies traditionnelles, mais, loin d’être une réalité, cette opinion n’est
qu’une information convenue et répandue, fruit d’une réflexion simpliste ayant
pour seul fondement de s’investir du rôle de défendeur du gentil commerçant contre
le méchant industriel sans visage ; il n’y a pas de jugement à apporter
sur l’honnêteté commerciale de l’un ou de l’autre, pas plus que de conclusions globalisantes
à tirer sur l’intérêt qu’offre internet aux lecteurs dans la facilité d’achat
de leurs ouvrages, au détriment des points de vente traditionnels. Car le
problème n’est pas là, et les librairies physiques sont confrontées à des
obstacles plus dangereux que ceux que les librairies dématérialisées pourraient
leur opposer.
N’oublions
pas que beaucoup de librairies se sont lancées dans l’aventure du e-commerce, qu’elles soient petites ou
grandes, indépendantes ou partie d’une enseigne nationale ou multinationale. Le
problème majeur n’est pas là, une fois de plus.
La loi
Lang datant du 10 août 1981 fut une bonne initiative, car imposer un seul et
même prix de vente au public, compris entre 95% et 100% du prix fixé par
l’éditeur, a permis que l’acheteur se retourne vers son libraire de quartier afin
d’acheter le dernier best-seller alors qu’auparavant il ne le sollicitait que pour
commander un livre difficile voire onéreux à obtenir (ce que les grandes
librairies se permettent tout bonnement de refuser à leurs clients). Notons que
le prix fixe du livre n’est pas encore connu de tous, et que le cas que j’ai
cité ci-dessus se présente trop souvent encore.
Aussi,
l’une des mesures à mener par l’Etat serait de diffuser au plus large public la
communication du principal alinéa de la loi en question. Qu’il s’agisse d’une
grande enseigne ou autres gms et gss, d’une importante librairie indépendante
ou de la maison de presse au coin de la rue, le prix de vente est le même dans
la limite des 95% fixés par l’éditeur. A défaut d’autoriser la publicité des
livres à la télévision (existant par ailleurs en d’autres pays d’Europe) qui ne
servirait qu’une partie des acteurs du monde du livre, et pas des moindres
puisqu’ils sont à l’origine du problème comme je m’en expliquerai plus tard, il
serait judicieux et profitable aux librairies traditionnelles que le ministère
de la Culture s’engage dans une campagne d’information médiatique au plus large
spectre, notamment par le biais du petit écran.
La
deuxième mesure, plus délicate, trouve sa source dans la disparité existant
entre les marges qu’un diffuseur (la force de vente d’un éditeur ou d’un
ensemble d’éditeurs) peut attribuer à ses clients. Un jeune libraire peut se
voir octroyer 25% de remise consentie par le diffuseur à la vente de ses
livres, tandis qu’une grande enseigne se verra bénéficier d’une remise de plus
de 40% par le même diffuseur. Oui, le volume de commandes d’un grand magasin,
commandes qui parfois transitent par une plateforme d’achats groupés pour tous
les points de vente d’une même enseigne, est cent fois parfois des milliers de
fois plus conséquent que celui du petit libraire, mais plus de 15 points
d’écart dans les remises accordées paraît bien exorbitant au regard de la
défense du petit commerce indépendant. Ne faudrait-il pas alors réglementer
l’attribution des remises afin, tout du moins, d’en atténuer l’étouffante
hétérogénéité ?
Et que
dire des marges arrières, rétributions financières accordées sur le principe de
dépassement d’objectif chiffré au préalable et contractuellement ? Seules
les grandes enseignes bénéficient de cette récompense. Les 15 points de remise
initiaux augmentent encore grâce à ce dispositif inique. Il est ainsi plus aisé
de répercuter les 5% de remise autorisés par la loi. Mais 5% sur un résultat de
250000 euros à l’année pour un libraire moyen représentent la majeure partie de
ses revenus !
La
troisième mesure, ayant une fois de plus les diffuseurs en ligne de mire,
découle des procédés de mise en place des ouvrages par les commerciaux ou leur
direction chez les libraires. Il existe dans le monde du livre une pratique
particulière qui consiste en ce que l’on appelle dans le jargon : les
offices. Ce sont des livres qui sont automatiquement expédiés et facturés aux
libraires à parution. A l’origine, ces offices étaient établis en fonction
d’une sélection des plus floues proposée au libraire et donnant accès à
quelques points de remise supplémentaire. D’emblée discutable, cette pratique
permet donc l’envoi systématique d’ouvrages non choisis à la référence. Mais le
pire est que la quantité envoyée et donc facturée au libraire est souvent trop
importante au regard du potentiel de vente de ce dernier. La sélection que
j’évoquai plus haut est également imprécise du fait qu’elle ne s’appuie que sur
un choix d’éditeurs ou de collections fait au libraire, contractuellement
indiqué sur ce que l’on appelle la grille d’offices. Supposons que celui-ci
gère une petite librairie de 50 mètres carrés dans l’Oise, rien n’empêchera
qu’il ait à réceptionner un ouvrage illustré de plus de 40 euros portant sur la
confiserie traditionnelle d’Aix en Provence. La grille d’offices comme ayant
droit à remise complémentaire est un dispositif néfaste à abolir.
La
quatrième mesure à entreprendre, également issue d’une analyse du procédé des
offices, est celle qui devrait contrôler les quantités vendues au libraire, et
plus généralement, qu’il s’agisse d’offices, donc de nouveautés, ou pas, car
les forces de vente ne présentent pas que les titres à paraître. Les offices sauvages, appelés fourchettes par les commerciaux, les
quantités augmentées dans la voiture après passage chez le client ou celles
grossies à la louche par une direction commerciale en mal de chiffre
constituent une agression inacceptable de la santé financière des libraires.
Certes, le client à le droit de retourner les invendus à son diffuseur par le
biais de son distributeur (celui qui s’occupe de la logistique) et d’être
re-crédité de sa mise initiale, mais seulement après avoir en premier lieu payé
les ouvrages concernés par le retour. Cette mesure restreint énormément la
souplesse de trésorerie. Notons, par ailleurs, que certains
diffuseurs-distributeurs imposent un délai de remboursement plus long que celui
de la facturation antérieure. De telles pratiques sont-elles aussi à bannir et
même à réprimander lorsqu’il s’agit d’augmentation indue de quantités.
Enfin, la cinquième mesure est celle qui
devrait réglementer l’attribution des marchés publics. Après avoir déterminé
des zones géographiques afin d’établir une rayon d’attribution légal, chaque
fois qu’une collectivité (mairie, bibliothèque, école) lance un appel d’offres
aux libraires, celle-ci réceptionnerait ses ouvrages à part égale selon le
nombre de ses fournisseurs potentiels sis en son périmètre d’attribution
géographique. Les libraires étant
autorisés par la loi Lang à effectuer une remise aux collectivités allant
jusqu’à 9% contrairement aux 5% destinés au grand public, leur marge se voyant
ainsi diminuée, il serait donc sain que tous les commerces du livre puisse
prétendre à ce type de ventes et pas seulement ceux dont le volume d’affaires
permet de rogner légèrement sur leur bénéfice. Notons que dans bien des cas,
des attributions furent faites par collusion, mais il semblerait que cela
s’atténue. Une répartition équitable règlerait la question et favoriserait les
petits et moyens commerces sans pour autant spolier les grandes enseignes de
leur droit de vendre à l’instar de tout autre.
La
sixième mesure est des plus simples : seuls les libraires devraient avoir
le droit de vendre des livres. Actuellement, les jardineries et les magasins de
bricolage, pour ne citer qu’eux, proposent des livres à la vente dans leurs
rayons ; à l’inverse, une librairie n’a pas le droit de vendre des plantes
ou des pots de peinture. Ce ne serait donc que l’application de la logique. De
même, les éditeurs ne devraient pas être autorisés à vendre en ligne,
court-circuitant ainsi le réseau de la librairie et sans souffrir des marges
intermédiaires.
Ces six mesures, somme toute
aisées d’entreprendre, ayant pour seul
but l’équité dans un pan du monde de la culture que l’économie de marché a
transformé et dont elle a accéléré le rythme (durée de vie des ouvrages
moindre, augmentation du quantitatif mais diminution du qualitatif, millions de
livres au pilon après une existence brève), permettraient à n’en pas douter à
toute typologie de librairie d’exister et de prospérer.
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